Café de la prospective du 21 juin 2017 – Le syndrome de Cassandre – Marc Mousli

Café de la prospective du 21 juin 2017 – Le syndrome de Cassandre – Marc Mousli

Marc MousliMarc Mousli, économiste et prospectiviste,  est un des fondateurs du Café de la prospective, Il va ce soir vous présenter un travail en cours qu’il a appelé  le syndrome de Cassandre ou, de façon moins raffinée, Cause toujours !

J’ai constaté — comme beaucoup avant moi — que les catastrophes n’existaient pas. Des événements surviennent, et ils deviennent catastrophiques quand les hommes s’en mêlent … c’est-à-dire, le plus souvent, qu’ils préparent le terrain, faisant ce qu’il faut pour qu’un événement naturel ait de terribles conséquences alors qu’on aurait pu éviter qu’il se produise, ou du moins en limiter considérablement les effets négatifs.

Très souvent, on voit arriver la catastrophe, on dit qu’elle va se produire, et elle se produit quand même.

Pourquoi « le syndrome de Cassandre » ?

Apollon, dieu des arts et de la divination, était amoureux de Cassandre, la fille divinement belle de Priam, roi de Troie. Pour séduire la princesse, le fils aîné de Zeus lui avait fait un cadeau d’une grande valeur : le don de voyance. Il lui avait même permis de dire l’avenir en s’exprimant clairement, contrairement à la Pythie de Delphes, qui énonçait ses prophéties sous la forme d’énigmes absconses. La jeune beauté avait accepté le cadeau, mais s’était refusée au dieu. Pour se venger, Apollon l’avait condamnée à ne jamais être crue. La belle princesse est morte depuis trente siècles, mais la malédiction d’Apollon a continué à frapper ses compagnes et compagnons d’infortune, les milliers de chercheurs, d’experts, de techniciens, de journalistes et de « lanceurs d’alerte ». Ils décrivent la catastrophe qui s’approche, et personne ne les écoute.

Prévoir une catastrophe, puis la regarder se produire

L’un de nos grands prédécesseurs, Pierre Massé, expliquait que la bonne prévision n’est pas celle qui se réalise mais celle qui conduit à l’action, et que « prévoir une catastrophe est conditionnel ; c’est prévoir ce qui arrivera si nous ne faisons rien pour l’empêcher ».

Pierre Massé, Commissaire général du Plan du Général de Gaulle, énonçait ce qui était une évidence à ses yeux d’X-Ponts et de haut fonctionnaire : un dirigeant apprenant qu’une catastrophe va se produire fera tout ce qui est en son pouvoir pour l’empêcher. Donc, si un événement provoquant des dégâts considérables et faisant des centaines de morts se produit, c’est qu’il était imprévisible. Si les dirigeants n’ont pas réussi à l’empêcher de se produire, ou à en limiter les conséquences, c’est qu’ils ne savaient pas.

Bien entendu, tout cela est faux. De nombreux événements sont prévisibles, voire carrément prévus, et en tout cas clairement annoncés. Certains étaient évitables, et ils se sont produits quand même (les attentats du 11 septembre[1], la crise des subprimes, la chute de la Barings Bank ou l’affaire Kerviel). D’autres, notamment les cataclysmes naturels, ne sont guère évitables, mais on aurait pu éviter qu’ils ne deviennent des catastrophes, en protégeant mieux les installations et les hommes (Fukushima, Katrina), ou en prévoyant et en organisant correctement les moyens de secours (Titanic, Katrina, 11 septembre).

Entendons-nous sur le terme « catastrophe », un mot très fort (en grec καταστροφή : destruction, anéantissement). Un tremblement de terre de magnitude 8,9 sur l’échelle de Richter n’est pas une catastrophe, s’il se produit au milieu du Sahara, à des centaines de kilomètres de toute présence humaine. C’est un événement naturel. Si en revanche il se produit sur la côte nord-est du Japon, où l’on trouve deux centrales nucléaires en bord de mer, et qu’il se combine avec un tsunami, c’est un incident sérieux pour la centrale nucléaire de Fukushima Daini, qui devra être arrêtée et subira quelques avaries, et c’est une catastrophe nationale, avec d’incalculables répercussions dans le monde entier, pour Fukushima Daiichi, l’autre centrale, située à 12 kilomètres de Daini.

La catastrophe de Fukushima Daiichi était prévisible, prévue et évitable à peu de frais. Nous pourrons y revenir, mais je préfère parler de deux cas moins techniques : la crise dite « de 2008 » et l’ouragan Katrina.

Katrina, archétype de la catastrophe prévue.

« Un ouragan observé de très près qui a frappé là et quand les prévisionnistes avaient dit qu’il frapperait » Rapport du Sénat des États-Unis[2]

Le vent destructeur et l’eau imparable

Le 29 août 2005, l’ouragan Katrina dévaste la côte sud-est des États-Unis, du Mississippi à la Louisiane, sur une surface équivalant à la moitié́ du territoire français. La violence du vent provoque, comme d’habitude, de gros dégâts.

Mais dans La Nouvelle-Orléans, le pire ennemi des villes vient s’ajouter aux toitures détruites, aux voitures soulevées de terre, aux arbres arrachés : une inondation hors de tout contrôle. Bordée par le Mississippi et par le lac Pontchartrain, constituée pour moitié de plans d’eau et située en-dessous du niveau de la mer, la capitale du jazz est protégée depuis le 18e siècle par un système complexe, hétéroclite, d’efficacité très inégale, de digues (les « levées »)[3], et drainée par des pompes installées dans les années 1920.

Katrina ouvre des brèches graves dans les levées, très mal entretenues, et les pompes sont vite noyées. L’eau s’engouffre, détruisant tout sur son passage. Les quatre cinquièmes de la ville sont inondés (sous sept mètres d’eau à certains endroits) et tous les réseaux vitaux – électricité, eau potable, télécommunications – sont détruits. Sur les 28 hôpitaux, 25 sont privés d’électricité́, car les groupes électrogènes, placés en sous-sol, sont hors d’usage.

Les pompiers, les policiers, les transports publics, sont totalement désorganisés, les bâtiments de la garde nationale et de la police ont été envahis par les eaux, les matériels de secours sont détruits ou rendus inaccessibles.

Un ouragan terrible, mais annoncé et pas exceptionnel

Tous les habitants qui le peuvent évacuent la ville. Un tiers de la population ne reviendra pas de son exil forcé. Mais le sort le plus terrible est celui des 100 000 personnes restées dans les zones dévastées. Elles vont vivre une semaine de cauchemar. On comptera 1836 morts, 705 disparus, 100 milliards de dollars de dégâts matériels.

Tout cela alors que Katrina était un ouragan dangereux mais pas exceptionnel : de force variable[4] selon les moments, il a été classé comme le 10e, le 4e ou le 3e cyclone de la saison 2005. Et fort heureusement, son épicentre ne se trouvait pas au cœur de la ville, mais à 100 km à l’est. Comme trop souvent, le bilan très lourd est dû à l’incurie et au comportement aberrant des autorités locales, qui savaient pourtant ce qui allait se passer :

« Avant l’arrivée de Katrina, les dirigeants prennent clairement conscience qu’ils vont au drame. Ensuite, il leur faut une journée pour prendre acte de la réalité de ce qui ne faisait pour eux aucun doute [5]».

Un drame prévu, décrit et modélisé

L’un des rapports d’enquête publiés interroge :

« Pourquoi sommes-nous à chaque fois en retard d’une crise ? […] On a du mal à comprendre comment un gouvernement peut réagir de façon aussi inefficace à une catastrophe anticipée depuis des années, et pour laquelle des avis de sinistre précis avaient été lancés quelques jours plus tôt. Le drame n’était pas seulement prévisible, il était prévu ».

Des scénarios très réalistes : la série d’articles dans National Geographic, le mensuel de la Société nationale de géographie

Les documents prévoyant la catastrophe sont nombreux. L’un des plus impressionnants est la série de quatre articles que publie Joel Bourne à partir d’octobre 2004 :

« Des milliers de personnes noyées dans l’infecte boue liquide empoisonnée par les égouts et les rejets industriels. Des milliers d’autres, ayant survécu à l’inondation, sont morts de déshydratation et de maladie pendant qu’elles attendaient d’être secourues. Il a fallu deux mois pour pomper toute l’eau qui avait envahi la ville, au bout desquels la Nouvelle-Orléans était recouverte d’une épaisse couche de sédiments putrides. Un million de personnes étaient sans abri et 50 000 étaient mortes. La pire catastrophe naturelle de l’histoire des Etats-Unis.[6] »

Joel Bourne prévoyait un nombre de victimes supérieur à ce qu’il a vraiment été, car il situait le cœur du cyclone en pleine ville, alors que celui de Katrina se trouvait à 100 km à l’est. À ce détail près, on aurait pu, un an plus tard, faire passer ces quatre articles prémonitoires pour un reportage dans La Nouvelle-Orléans sinistrée.

Un exercice simulant l’ouragan, par la Protection civile fédérale

Les services fédéraux de la protection civile étaient aussi inquiets que les journalistes locaux. Ils avaient organisé en Louisiane, en juillet 2004, un exercice simulant un cyclone aux caractéristiques très proches de celles de Katrina. Ils avaient eux aussi surestimé le nombre de morts, mais vu juste en prévoyant que 100 000 personnes n’évacueraient pas la ville. L’exercice avait révélé une mauvaise préparation à̀ ce type de catastrophe, mais aucune mesure n’avait été prise pour remédier aux failles détectées.

Les ultimes avertissements, quelques jours avant la catastrophe

Enfin, quelques jours avant le 29 août 2005, le directeur du Centre national d’étude des ouragans (National Hurricane Center) multiplie les coups de téléphone aux responsables politiques locaux pour les avertir de l’arrivée de Katrina et de sa dangerosité. Il ne parvient pas à toucher le maire. Ses avis sont relayés par les nombreuses chaînes de télévision consacrées à la météo, mais la population ne réagit pas : « Comme le maire n’a rien dramatisé, personne ne prenait Katrina au sérieux[7] ».

Seule la gouverneure de la Louisiane s’alarme. Elle demande au maire de recommander l’évacuation de la ville et fait mettre en sens unique les autoroutes.

Refusant de recourir à Amtrak[8], le maire laisse un train vide quitter la ville en direction de McComb dans le Mississippi, et quand il se décide enfin à réquisitionner les bus, on ne trouve plus de conducteurs : ils sont déjà partis avec leurs familles.

(Absence de) morale de l’histoire

Ray Nagin, le maire démocrate afro-américain de La Nouvelle-Orléans depuis 2002, très critiqué pour sa gestion des secours, a été réélu le 20 mai 2006 avec 52,3 % des voix.

Le journaliste du Monde saluait cette réélection en expliquant que « la ville est au bord de la faillite, l’électricité́ et l’eau sont loin d’être rétablies partout, les digues ne sont pas encore réparées et la saison des ouragans (juin à septembre) va commencer » (Le Monde, 22/05/2006)

 

La crise de 2008, un krach prévisible et prévu

J’ai commencé à m’intéresser aux catastrophes prévisibles à l’été 2007. En vacances à Zurich, j’ai trouvé dans une librairie[9] un livre de Paul Jorion : Vers la crise du capitalisme américain[10]. Cet anthropologue, ancien trader, y décrivait le mécanisme des subprimes, expliquait en détail les pratiques frauduleuses des courtiers qui poussaient des ménages insolvables à contracter des emprunts, et annonçait la crise.

J’ai été impressionné par la justesse de la prévision, dans un livre publié en janvier 2007. En fait, j’ai appris un peu plus tard en bavardant avec Paul Jorion qu’il avait fini de l’écrire en 2004 et cherché un éditeur pendant deux ans !

Parfaite Cassandre, il s’imaginait que sa description solide et argumentée de la réalité allait susciter un écho.

Les dimensions de la crise de 2008.

On considère habituellement que c’est BNP Paribas qui a donné le signal de la crise « des subprimes » le 9 août 2007, en bloquant l’activité de trois de ses fonds de placement comportant des obligations hypothécaires subprime.

Pendant les dix années qui vont suivre, les pays développés seront plongés dans la plus grande dépression depuis celle des années 1930.

Aux États-Unis, plus de quatre millions de ménages modestes ont été chassés de leurs maisons saisies par leurs créanciers entre 2007 et 2012. Des centaines de petites banques (et une demi-douzaine de grandes) ont fait faillite, et la crise économique qui a suivi a mis au chômage plus de 35 millions de travailleurs dans le monde.

Le mécanisme bien huilé du marché immobilier résidentiel

À l’origine de cette catastrophe monstrueuse, il y a le marché immobilier résidentiel américain.

Ce marché fonctionnait selon une routine bien établie : un jeune couple achetait une maison avec un apport initial modeste et un prêt hypothécaire sur 20 ou 30 ans. Il revendait son bien, dix ans plus tard, avec une plus-value qui lui permettait d’acheter plus grand ; il renouvelait l’opération une ou deux fois au cours de sa vie, puis, quand ses enfants avaient quitté le foyer, le couple revendait sa grande maison, en achetait une plus petite et disposait de la plus-value pour sa retraite.

Le grain de sable des subprimes

Ce mécanisme bien rodé a été fragilisé quand le gouvernement, désireux d’accroître le nombre des propriétaires, a encouragé les prêts à des populations aux revenus très modestes. Les courtiers ont proposé une formule attractive : pendant les deux premières années, l’emprunteur n’avait à rembourser que les intérêts, calculés à un taux bas (et fixe). À partir de la troisième année, les remboursements réels commençaient, avec un taux variable et plus élevé que celui des prêts ordinaires. Grâce à la croissance très rapide de la valeur du bien, l’hypothèque garantissait le risque de défaut de l’emprunteur. Malgré cette garantie, ce type de prêt dit subprime était plus risqué que la moyenne (le « prime », consenti à un public solvable) et les banquiers s’y engageaient avec une certaine prudence.

Une innovation financière géniale : la titrisation

Une innovation financière ingénieuse, la titrisation, va complètement dérégler le système : au lieu de garder la créance dans ses comptes, le prêteur la revend à une grande banque qui la combine avec des centaines d’autres présentant différents niveaux de risque, pour fabriquer des titres composites proposés aux investisseurs. Les banques font habilement noter ces titres AAA ou AA par les agences de notation, qui n’y voient que du feu.

La titrisation transforme les prêts subprime, très rentables mais risqués, en une excellente affaire, puisqu’elle supprime les risques, qui sont noyés dans les titres, véritables millefeuilles de contrats, et dispersés aux quatre coins du grand marché mondial. Du coup, le montant des contrats subprime s’envole : 30 milliards de dollars en 1990, 625 milliards en 2005. Tout est en place, la crise peut exploser. Il suffit de mettre le feu au cordon bickford. La mise à feu va être réalisée par la baisse du marché immobilier, jusqu’ici inconcevable par le grand public américain, mais aussi par de nombreux banquiers et financiers. L’augmentation entre 1997 et 2005 était aberrante, mais n’était en fait que la prolongation d’un demi-siècle de hausse des prix de l’immobilier résidentiel, qui avaient déjà crû sans aucune pause depuis l’après-guerre jusqu’en 1996, à l’exception d’une légère baisse en Californie et au Texas au début des années 1990.

La très mauvaise surprise : les arbres ne montent pas jusqu’au ciel

Jusqu’ici, la poursuite de la forte progression de la valeur des biens, d’une part, et la faiblesse des remboursements pendant les deux premières années, d’autre part, limitaient le nombre de défauts.

Mais au printemps 2007 le marché immobilier se retourne. La baisse des prix ne permet plus de compter sur des hypothèques toujours plus élevées, les débiteurs voient donc se dérober la planche de salut qu’était la garantie hypothécaire, et une proportion importante d’entre eux fait défaut lorsqu’ils sont confrontés au choc de la troisième année.

De la crise des subprimes à la crise financière

La valeur des titres contenant des subprimes baisse, puis s’effondre. Ce qui serait un coup dur pour les marchés, mais pas une catastrophe si ces titres étaient bien identifiés. Mais la titrisation rend opaques les titres composites, et les investisseurs comprennent assez vite qu’on ne peut pas faire confiance aux AAA ou AA fantaisistes des agences de notation. La méfiance s’étend comme une traînée de poudre et toutes les transactions sont bloquées.

La crise financière fait des ravages. Elle atteint son summum le 15 septembre 2008 quand Lehman Brothers, quatrième banque d’investissement américaine par la taille, se déclare en faillite. Les États-Unis, et avec eux la moitié du monde, s’installent dans la crise économique.

 

Les Cassandre

En novembre 2009, la reine d’Angleterre reçoit des économistes. Elle leur demande : « pourquoi n’avez-vous pas prévu la crise ? » Elizabeth II se trompe : des économistes avaient parfaitement prévu et annoncé la crise, mais personne ne les avait écoutés.

 Gramlich, professeur d’économie et membre du Conseil des gouverneurs de la FED

Plusieurs universitaires avaient dénoncé en vain la bulle immobilière formée à partir de 1997 et qui a éclaté en 2007.  Certains d’entre eux avaient compris qu’une crise immobilière était en préparation. Citons le mieux placé pour agir : Edward J. Gramlich, professeur d’Université en économie, membre du Conseil des gouverneurs de la FED de 1997 à 2005.

En 2000, inquiet de voir les prêts risqués se multiplier, il avait demandé à son collègue Alan Greenspan, président de la FED, de lancer une enquête sur les pratiques des banques. Ce dernier avait refusé par pure idéologie : Greenspan était libertarien, et donc toujours partisan de laisser faire le marché au maximum. Placé dans un poste où il était le plus grand influenceur mondial des marchés — en quelque sorte un super-régulateur —, il était plus que sceptique sur l’effet des régulations.

La police

Nous ne développerons pas les craintes du FBI, qui avait averti la Chambre des représentants dès septembre 2004, en séance publique, de l’ « épidémie » de fraudes aux prêts immobiliers susceptible d’engendrer une « crise » financière si elle n’était pas endiguée à temps.

Nouriel Roubini

Nombre d’économistes avaient prévu plus ou moins clairement  la bulle immobilière, avec beaucoup d’approximations et d’incertitudes sur la date de son implosion. Très peu avaient vu arriver la crise financière. La pensée du mainstream était : « La chute de l’immobilier fera plonger les marchés, mais il ne faudra que quelques mois pour que tout rentre dans l’ordre ».

L’avertissement le plus spectaculaire par sa pertinence et sa précision a été lancé le 7 septembre 2006 par un professeur de sciences économiques à l’Université de New York, Nouriel Roubini, devant des économistes du Fonds Monétaire International. Il dresse un tableau exhaustif et précis de la catastrophe qui va éclater onze mois plus tard. Tout y est : le fiasco de la politique du logement, la crise financière, la faillite des deux grandes entreprises semi-publiques chargées de réguler le marché hypothécaire et la distribution des crédits immobiliers (Fannie Mae et Freddie Mac), la récession sévère de l’économie américaine, la propagation de la crise aux autres pays développés, les réactions de la FED, qui a en quelques mois abaissé son taux directeur de 5 % à 0. Il a même prévu, alors que les prix du pétrole étaient en hausse régulière, la troisième crise pétrolière.

Lorsque Roubini quitte la tribune, le modérateur de la conférence, rigolard, lance : « Eh bien, après cela, nous allons sans doute tous avoir besoin d’un petit remontant ! »

Les traders qui avaient tout compris

Lorsque Roubini annonce la catastrophe il ne court que le risque d’être surnommé « Doctor Doom » (Docteur Catastrophe). C’est effectivement le sobriquet qu’il a définitivement gagné !

Des traders ayant, avant lui, vu venir la catastrophe ont, eux, risqué non seulement leur réputation (un capital extrêmement précieux dans la finance) mais aussi leur argent (beaucoup). Dès le printemps 2005, ils ont anticipé la baisse du marché immobilier et calculé que les défauts des emprunteurs se multiplieraient à partir de 2007. En spéculant contre les subprimes, ils ont gagné des milliards de dollars. Michael Lewis a raconté quelques-unes de leurs histoires dans un livre : The Big Short (Le Casse du siècle)[11], porté à l’écran en 2015, sous le même titre, par Adam McKay. L’histoire la plus pittoresque est celle de Michael Burry, qui a fait créer un instrument financier, les CDS, spécialement pour spéculer contre les subprimes.

Gregory Zuckerman a raconté, dans The Greatest Trade Ever comment un autre gestionnaire de fonds, John Paulson, a mené à bien en 2007 la plus grande spéculation de l’histoire : il a gagné 15 milliards de dollars pour son fonds d’investissement (et 4 milliards de dollars pour lui) en pariant, comme Michael Burry et avec le même outil : le CDS, contre les titres subprime[12].

Dans la même veine, plusieurs banques ont joué un double jeu, poussant d’un côté leurs clients à acheter des titres contenant des obligations hypothécaires subprime, tandis que de l’autre elles réduisaient leur exposition au risque de ces mêmes prêts, parfaitement conscientes de la prochaine baisse des prix de l’immobilier. Citibank, par exemple, a commencé à spéculer contre les subprimes en 2006, tout en continuant jusqu’en 2007 à vendre des titres pourris à ses investisseurs. On peut également citer Bank of America, JP Morgan-Chase, Deutsche Bank, etc.

La Securities and Exchange Commission (SEC, leur Autorité des Marchés Financiers) et l’US Department of Justice n’ont pas passé l’éponge sur ce double jeu. Ils ont infligé des amendes colossales aux plus grands escrocs : 16,65 Mds à la Bank of America, 13,4 Mds à JP Morgan Chase, 7,7 Mds à Citigroup, 7,2 Mds à la Deutsche Bank, 5,2 Mds au Crédit suisse, 5,06 Mds à Goldman Sachs et 5 Mds à Morgan Stanley.

Débat

Participant

Comment le système des subprimes a-t-il pu prendre cette ampleur, et quel a été le rôle des mafias dans la crise ?

Marc Mousli

Les Américains n’avaient pas besoin de mafias pour fabriquer cette crise. Ils ont l’habitude de faire de la « cavalerie » en payant le solde d’une carte de crédit avec une autre carte de crédit, et dans toutes les villes américaines il y a des boutiques signalées par une enseigne « Change » où les immigrés illégaux peuvent encaisser leur chèque de paie sans avoir de compte en banque…Ils sont donc habitués à manipuler de l’argent sous de multiples formes. Et tout le monde a participé à la crise : financiers réputés, courtiers véreux … et victimes. Dans le film Cleveland contre Wall Street, certains emprunteurs reconnaissent leur complicité : le système était tellement séduisant qu’ils avaient acheté plusieurs logements ! Ils étaient persuadés de ne rien risquer grâce au parachute de l’hypothèque.

Quant aux pouvoirs publics, le système a été lancé par Reagan, et tous les présidents jusqu’à George W Bush ont suivi. C’est une combinaison fantastique de générosité et d’astuce : générosité des hommes politiques qui ont voulu rendre propriétaires des gens qui n’en avaient pas les moyens, et astuce des banquiers qui ont su diversifier les risques et les répartir sur les marchés. Voilà comment on fabrique une catastrophe avec de la générosité et de l’intelligence astucieuse.

Régine Monti

Les deux exemples questionnent la posture des experts que l’on n’écoute pas… ce qui est fréquent en prospective.

Marc Mousli

Dans le cas de Katrina, il y avait d’une part des professionnels dont c’était le métier de surveiller les ouragans (les météorologues) et d’entretenir les installations de sécurité (les ingénieurs). Ce n’était pas des experts extérieurs dont on se méfie toujours un peu : l’État les payait pour ce travail, ils étaient sur leur terrain d’action habituel et ils connaissaient bien sûr les dangers et les risques mieux que personne.

Quant à la crise de 2008, l’un des protagonistes était Ben Bernanke, Président du conseil des gouverneurs de la FED après avoir dirigé le groupe des conseillers économiques du président[13]. Il connaissait très bien G.W. Bush, qu’il voyait à peu près chaque jour. Ils parlaient de la situation, mais son approche était biaisée par la doctrine : imprégné (comme son prédécesseur Alan Greenspan) d’idéologie libérale, il intervenait le moins possible. Il lançait une bouée quand une banque était au bord de la faillite, en cherchant à ce que ladite bouée ne porte pas les couleurs du drapeau américain : son objectif premier était de faire sauver l’établissement qui coulait par un autre établissement financier privé.

Participant

Ce qui frappe ce sont les difficultés à réagir face à des événements graves. En Guyane, personne n’a vu venir la concurrence faite par SpaceX à l’Aérospatiale. Un an avant l’élection présidentielle, personne n’avait vu arriver Emmanuel Macron. Et en Martinique, nous avons 50% des jeunes sans emploi, on n’arrive pas à se faire entendre et un jour ou l’autre ça va péter, malgré tous nos efforts !

Marc Mousli

Je me suis concentré sur des cas dans lesquels les enjeux étaient considérables. Cela permet hélas de constater que les décideurs privilégient toujours le court terme, sans tenir compte des enjeux, qu’ils semblent incapables de comprendre. L’exemple type, c’est Fukushima, dont les conséquences ont été mondiales, portant un coup très rude à l’industrie nucléaire. Je ne dirai rien de SpaceX, qui disrupte de façon assez classique l’Aérospatiale. Mais si on prend l’exemple de Katrina, on comprend bien que le maire de La Nouvelle Orléans, confronté à ces problèmes considérables de maintenance, se soit dit « les levées sont là depuis le 18e siècle, elles peuvent bien attendre encore deux ans ». Si j’avais été son conseiller, je lui aurais dit : « tu ne remettras pas en état les 190 km de digues en deux ans, mais tu peux commencer les travaux, motiver et inciter des propriétaires privés à faire de même, et surtout t’intéresser aux moyens de secours en cas d’inondation – fréquentes dans cette ville — afin de limiter les dégâts : faire déplacer les groupes électrogènes qui sont dans les sous-sols, vérifier l’organisation des services de transport s’il faut évacuer des habitants, vérifier les accès aux matériels de secours, etc.

Quant à l’élection d’Emmanuel Macron, on trouve dans un livre de Michel Houellebecq paru en 2015, Soumission, une description fort convaincante de sa future prise de pouvoir : Mohammed Ben Abbes est jeune, intelligent et cultivé. Il crée un nouveau parti et remporte l’élection au second tour face au FN, rassemblant des électeurs (et des élus) de tous les partis républicains, qui implosent. Et il s’allie avec François Bayrou, dont le soutien est décisif. Le livre a eu un succès considérable (600 000 exemplaires vendus en France dans le mois qui a suivi sa sortie, et meilleures ventes de l’année 2015). Des millions de gens (le livre a aussi eu un succès considérable dans de nombreux pays, notamment en Allemagne et en Italie) avaient donc lu le récit de l’accession à la présidence du pays d’un homme encore jeune (43 ans pour Ben Abbes, 39 ans pour Macron), fin stratège et remarquablement intelligent.

Participant

Ne serait-il pas intéressant de faire un catalogue des catastrophes à venir ? Il y a deux ans, une crue proche de la crue centennale s’est produite à Paris, et à ma connaissance on n’a rien fait depuis pour mieux protéger la capitale. De la même façon, la Californie est sous la menace du Big one. Un film, San Andreas, raconte l’ouverture de la faille de San Andreas, qui longe la côte du Pacifique du Canada au sud du Chili, et la catastrophe qui s’ensuit.

Il serait donc intéressant de dresser une liste des catastrophes prévisibles pour lesquelles on ne fait rien.

Marc Mousli

Pour ce qui concerne les inondations catastrophiques dans notre pays, j’ai regardé d’assez près la tempête qui a touché la côte Atlantique à la fin février 2010, provoquant la mort de 59 personnes dont 47 en France. La commune la plus sinistrée a été celle de La Faute-sur-Mer, avec 29 morts.

La majorité des victimes ont été touchées entre le 27 et le 28 février, alors que les services météo avaient régulièrement lancé des alertes à partir du 23 février au soir, annonçant une dépression qui risquait de se transformer en tempête, et la Charente maritime, la Vendée, les Deux-Sèvres et la Vienne avaient été placés en alerte rouge. Plusieurs digues ont rompu, provoquant de fortes inondations.

Un rapport sévère de la Cour des comptes dénonce un laxisme criminel des maires : de 1999 à 2006, près de 100.000 logements ont été construits en zone inondable dans 424 communes françaises. Ce que ne dit pas la Cour des comptes, c’est que ce laxisme a été couvert, voire encouragé par la plus haute autorité de la République : en avril 2009, Nicolas Sarkozy déclarait : « Le problème c’est la réglementation. Pour libérer l’offre il faut déréglementer, élever les coefficients d’occupation des sols et rétablir la continuité du bâti dans les zones denses, permettre à chaque propriétaire d’une maison individuelle de s’agrandir, d’ajouter une pièce ou un étage, rendre constructible les zones inondables pour des bâtiments adaptés à l’environnement et au risque, utiliser les interstices, les délaissés d’infrastructures… Il faut changer nos procédures, notre façon d’appliquer le droit, sortir du respect passif d’une réglementation de plus en plus pesante ».

Pour le dossier le plus scandaleux, celui de La Faute-sur-Mer, une information judiciaire a été ouverte et le maire de la Faute-sur-Mer a été jugé et condamné.

Il est probable que l’affaire Xynthia se reproduira demain à l’identique. « L’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique a chiffré à plusieurs dizaines de milliards d’euros d’ici 2100 la destruction de logements que provoquera le recul de la côte pour la seule région Languedoc-Roussillon ». La seule solution est de construire en retrait des côtes. On voit mal les « petits » maires des communes littorales s’y résoudre !

Quant au Big One, la Californie est traversée par plusieurs failles (notamment San Andreas et Puente Hills), et les sismologues prévoient avec une très forte probabilité, à un horizon de 25 à 30 ans, un séisme majeur d’une intensité supérieure 7,5 sur l’échelle de Richter.

Je connais bien l’état de préparation à Los Angeles : les Angelenos prennent très au sérieux les tremblements de terre. Les bâtiments sont régulièrement remis aux normes antisismiques les plus sévères, la conduite à tenir en cas de séisme est connue de tous et les systèmes d’alerte collectifs et individuels sont sans cesse perfectionnés. Caltech[14] vient de mettre au point un « earthquake early warning » (EEW), avec une application que chacun peut télécharger dans son smartphone, et qui prévient dans la minute qui précède le tremblement de terre[15]. On ne peut pas sauver tous ses biens, mais on peut se jeter sous une table ou se placer dans un encadrement de porte.

Participant

On a une lecture a posteriori des événements. Mais dans les salles de marché, par exemple, on entend des milliers d’avis d’experts qui nous expliquent que la prochaine bulle ou le prochain krach est pour bientôt. Comment faire le tri ?

Lors de la crise des subprimes : la complexité des instruments était très grande : titrisation, swaps, CDO (Collateralized Debt Obligations), ABS (Asset Based Securities), CDS (Credit Default Swap), options diverses, etc. Est-ce que cela n’a pas limité les possibilités de réaction de certains acteurs ?

Sur ces sujets, on peut conseiller trois livres : Les Décisions absurdes, de Christian Morel, La soumission librement consentie, de Jean-Louis Bourgois et Pour un catastrophisme éclairé, de Jean-Pierre Dupuy.

Marc Mousli

Sur la première question, qui est sans aucun doute le point le plus crucial de ma recherche. Il y a des milliers de prévisions et d’avertissements, plus ou moins étayés, plus ou moins sérieux. Quand un avertissement est lancé par un expert sérieux, avec des arguments solides, on peut tendre l’oreille. Pour passer à la phase suivante : prendre des mesures, il y a un critère évident : les enjeux.

Parmi les exemples que j’ai donnés j’ai une certaine admiration pour les traders qui n’ont pas hésité à engager leurs propres fonds sur la crise de 2007, sûrs d’eux et de leurs analyses. Ils avaient su observer et étudier la conjoncture et, parmi tous les bruits de bulle immobilière, reconnaître la vraie opportunité et déduire le bon délai — ce qui est de loin la prévision la plus difficile à faire.

Quant à la complexité des instruments financiers et leur rôle dans la crise, il est clair que c’était, pour une partie de ces montages, une opacité voulue, une tactique des banques pour tromper les Agences de notation — qui se sont laissées faire, et ont donné des AA et des AAA à des titres pourris.

Participant

Il y a eu un faible écho médiatique aux 296 tremblements de terre à Yellowstone, la semaine dernière. On a là une menace énorme, pourtant.

La façon d’aborder le futur a beaucoup évolué à travers les âges. Autrefois il fallait pérenniser la civilisation dans des environnements très difficiles, et on travaillait à la fois sur la productivité et la résilience. La complexification des systèmes semble nous avoir focalisés sur l’efficacité, la productivité au détriment de la résilience. N’a-t-on pas négligé les gros problèmes — qui ont toujours existé — avec la circonstance aggravante de la complexité, qui multiplie les effets pervers et inattendus.

Marc Mousli

Rassurons-nous : les tremblements de terre de Yellowstone ne sont pas liés à la faille de San Andreas. Quant à l’appréhension des catastrophes au fil des siècles, entendons-nous d’abord sur le terme « catastrophe », un mot très fort (en grec καταστροφή : destruction, anéantissement). Un tremblement de terre de magnitude 8,9 sur l’échelle de Richter n’est pas une catastrophe, s’il se produit au milieu du Sahara, à des centaines de kilomètres de toute présence humaine. C’est un événement naturel. Si en revanche il se produit sur la côte nord-est du Japon, où l’on trouve deux centrales nucléaires en bord de mer, et qu’il se combine avec un tsunami, c’est un incident sérieux pour la centrale nucléaire de Fukushima Daini, qui devra être arrêtée et subira quelques avaries, et c’est une catastrophe nationale, avec d’incalculables répercussions dans le monde entier, pour Fukushima Daiichi, l’autre centrale, située à 12 kilomètres de Daini.

Les phénomènes provoqués par les humains sont en principe relativement maîtrisés. C’est lorsqu’on ne parvient plus à maîtriser des réactions en chaîne, comme dans la crise des subprimes, qu’une catastrophe survient. Pour les événements naturels, le facteur le plus important est la démographie : la population mondiale a été inférieure à un milliard jusqu’au début du XIXe siècle. En 2017, elle est supérieure à 7 milliards, et l’ONU prévoit qu’elle sera de 9,8 milliards en 2050. Il y a de moins en moins de chances pour qu’un grave événement naturel ne touche personne ! Et vous avez raison sur la résilience : la complexité de nos modes de vie peut nous sauver dans certains cas — grâce aux EEW qui nous préviendront de l’imminence d’un grave séisme, par exemple — et aggraver les dégâts dans de nombreux autres cas.

Régine Monti

Dans ta présentation, on voit des individus, et on ne voit pas le collectif, et ses représentants, agir.

Marc Mousli

Dans les cas que j’ai rapidement racontés, qui est le « collectif » ? Il y a des groupes de pression, des associations d’intérêts parfaitement antagoniques. Et ces « collectifs » ont-ils une efficacité plus grande que les dirigeants économiques ou politiques dont j’ai parlé ? Comme tout un chacun, je suis l’action contre les conséquences du changement climatique. Elle est menée par des ONG puissantes, censées représenter le collectif, et même l’avant-garde du collectif ! Mais je remarque dans ces organisations une versatilité qui n’empêche pas l’arrogance des militants persuadés d’avoir raison. J’ai dirigé il y a vingt ans un service de marketing stratégique. Nous nous sommes, un temps, intéressés à la biomasse, aux biocarburants … Nous étions à la pointe de l’écologie, puis, en quelques années, nous avons vu les carburants agricoles voués aux gémonies. Nous connaissons des épisodes comparables d’emballement suivi de fortes réserves pour les différentes techniques d’énergie solaire et éolienne, sans parler des véhicules électriques ou de l’économie collaborative (variante avancée, dans de nombreux cas, de l’économie de la fonctionnalité). On a l’impression qu’à chaque fois le collectif exacerbe les passions et les excommunications ! Et surtout, dans tous les cas dont j’ai parlé il existe une dimension « court terme versus long terme » et à ce jeu le collectif est très mauvais : il verse souvent dans le populisme !

Cela dit, l’important pour la population c’est l’information. Si des groupes ou des organisations vont chercher l’information, la diffusent, font comprendre les enjeux (si j’ai répété dix fois ce mot, c’est parce que c’est le talon d’Achille de toute la communication, qu’elle soit politique ou médiatique : on n’explique jamais les vrais enjeux). Prenons un exemple de « collectif » amorphe ou complice : les habitants de La Faute-sur-mer. Ils n’ont pas su (ou pas voulu) empêcher le maire de distribuer des permis de construire à volonté dans des zones inondables. Et pourtant les anciens savaient tout sur la question : ils mettaient naguère leur bétail à paître dans ces prés, ce qui est une utilisation intelligente : le jour où les terrains étaient inondés, les paysans mettaient simplement leurs bêtes ailleurs ou les gardaient à l’étable. Il n’y avait de dommage pour personne.

Participant

Des catastrophes avaient été clairement prévues et on n’a rien fait. Comment se fait-il que les gens intelligents aient aussi peu d’influence sur les événements ? La prospective peut-elle peser sur le  cours du monde ?

On a un peu parlé de guerre des idées ; il faut aller plus loin, et lutter aussi contre des croyances. On gagnerait donc à aller chercher un soutien du côté de la psychologie de la connaissance, de la sociologie de la connaissance, voire des travaux de Chaïm Perelman sur la rhétorique et l’argumentation, l’art de convaincre des personnes qui ne sont pas forcément rationnelles.

Marc Mousli

La prospective sait mettre à la disposition des dirigeants des scénarios très parlants. Ensuite, c’est à eux de s’en servir pour communiquer. Mais on a vu avec le cas de Katrina que l’on pouvait diffuser des scénarios durs, cruels, et non seulement pertinents mais, ce qui est beaucoup plus rare, précis, sans que la municipalité ou la population ne réagisse. Il est difficile d’influencer la décision publique dans ce sens : les dirigeants (élus) ont horreur des ruptures. Évoquer une rupture c’est annoncer des choses très désagréables. De plus, en entendant parler d’une perspective inquiétante, une grande partie du public, donc des électeurs, ne comprend rien : ils ne saisissent pas qu’il s’agit d’hypothèses. Leur réaction est : «Comment, le maire (ou le président) veut nous infliger ça ! ». On a clairement un problème de méconnaissance des cygnes noirs et de haine des ruptures.

——————–
[1]  Avec quelques réserves : l’attentat était évitable, mais il aurait fallu bousculer les administrations américaines, et disposer de plusieurs semaines de plus.
[2] Hurricane KatrinaA Nation Still Unprepared. Report, US Senate, May 2006.
[3] Schématiquement, la levée est haute d’un peu plus de 4 m, avec une largeur variant de 5 à 100 m dans la ville, de 4 à 5 m dans la campagne. Elle s’étend jusqu’à Plaquemines, à 190 kilomètres en amont de La Nouvelle-Orléans. Pour une description et un historique complet, Cf. Isabelle Maret et Romain Goeury, La Nouvelle-Orléans et l’eau : un urbanisme à haut risque, in Environnement Urbain Vol. 2/ 2008, en ligne le 09/09/2008. http://eue.revues.org/867
[4] Niveaux 3 à 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson, qui en comporte 5.
[5] A failure of initiative, Final Report of the Select Bipartisan Committee to Investigate the Response to Hurricane Katrina, Feb. 2006.
[6] Joel Bourne, Gone with the Water, National Geographic, 10/2004.[7] Romain Huret, Katrina 2005, éd. EHESS, 2010.
[8] Amtrak est la principale compagnie ferroviaire américaine de transport de voyageurs. Je n’ai pas encore trouvé pourquoi le maire avait refusé de faire monter ses administrés dans un train.
[9] J’étais à Zurich en juillet 2017, et j’ai constaté une autre catastrophe : la librairie (Payot) a disparu, remplacée par une bête boutique de vêtements.
[10] Jorion Paul, Vers la crise du capitalisme américain, éd. La Découverte, 2007.
[11] Lewis Michael, Le casse du siècle, plongée au cœur de la crise financière, coll. Points, éd. Sonatine, 2010.
[12] Zuckerman Gregory, The Greatest Trade Ever – How John Paulson bet against the markets and made $20 billion, ed. Penguin, New York, 2009.
[13] Ben Bernanke a été, de juin 2005 à janvier 2006, Chairman of the Council of Economic Advisers of the President.
[14] California Institute of Technology.
[15] https://itunes.apple.com/fr/app/equake-earthquake-alerts-sensor-network/id1022523338?mt=8