Idées, tendances et signaux faibles

Crise de la prévision, essor de la prospective

Crise de la prévision, essor de la prospective

Il y a juste quarante ans, en 1977, paraissait aux PUF « Crise de la prévision, essor de la prospective », un livre de 188 pages tiré par Michel Godet de sa thèse de doctorat en sciences économiques. Michel a 29 ans. Il est ingénieur en chef à la SEMA, florissante société d’études dirigée par Jacques Lesourne.

Le quatrième de couverture


« 
L’histoire économique récente est marquée par de fréquentes erreurs de prévisions ; la répétition de ces erreurs et notamment l’absence de prévision des crises économiques expliquent la crise de la prévision et l’essor de la prospective. Les praticiens des entreprises et des administrations, les universitaires et plus généralement tous ceux qui doivent sinon établir des prévisions du moins s’en servir ou y réfléchir sont amenés un jour ou l’autre à se poser les questions suivantes :

  • quelles sont les causes des erreurs de prévision ?
  • que peut-on attendre des modèles économétriques ?
  • en quoi la prospective diffère-t-elle de la prévision ? – où en sont les nouvelles méthodes prospectives (analyse structurelle, impacts croisés, scénarios) et quel est leur apport ?
  • une synthèse est-elle possible entre les approches « littéraire » et « formalisée » ?
  • que faut-il penser des modèles mondiaux ?
  • finalement quel est l’avenir de la prospective ?

A toutes ces questions ce livre apporte des réponses d’autant plus pertinentes qu’elles sont le fruit d’une longue pratique des études prospectives dans des domaines aussi divers que l’énergie, le transport, l’agriculture, les relations internationales, etc.

Au-delà de la réflexion théorique et de l’exposé méthodologique, cet ouvrage comprend aussi des études de cas et propose notamment une nouvelle lecture rétrospective et prospective de la crise énergétique à la lumière de la stratégie des acteurs en présence.

L’appréciation de Pierre-Frédéric Gonod

(P-F. Gonod & J-L. Gurtler, Évolution de la prospective, Revue OCL, vol. 9. n° 5. 09/2002).
« Crise de la prévision, essor de la prospective joua un rôle positif, il était à contre-courant de la vague économétrique dont la sophistication mathématique était (et reste) inversement proportionnelle à la pauvreté́ de l’analyse. »

La critique d’Alfred Sauvy

(Le Monde, 14/06/ 1977)
« Depuis un siècle, ceux qui essaient de supputer les conséquences à venir des rouages présents cherchent une terminologie propre à conjurer la réputation contestable des prophètes. La science a un tel souci d’écarter la divination que la prospective est aujourd’hui dans le ton. Peu importent du reste les termes ; seules comptent les méthodes, sinon les résultats.

Que l’avenir multiple soit une clé d’explication du présent, nous l’acceptons volontiers ; que le refus du déterminisme ne contredise pas le principe de causalité n’est que trop évident. Il s’agit, en définitive, de tracer plusieurs trajectoires vers plusieurs avenirs, sans exercer nécessairement de choix. Les démographes ont agi il y a plus d’un demi-siècle en ce sens, à l’époque même d’André Breton, souvent évoqué ici, et de Paul Valéry, également cité, auteur de l’Imprévisible.

Nous en venons tout naturellement à considérer des  » systèmes « , ou plutôt nous les prenons pour point de départ, et ils nous conduisent au séduisant domaine des scénarios, où  » l’imagination doit s’exprimer librement  » ; soit.

Deux exemples sont donnés : le transport aérien dans la région parisienne (que n’avons-nous New-York ?) et l’énergie, selon les projets de divers acteurs (Nord, Sud, Nord-Sud, etc.). En fin de compte, le prospectus (ou prospectiviste) en vient à fixer d’abord l’avenir, c’est-à-dire à se proposer un objectif, puis à chercher le cheminement qui permettra de le réaliser. Tel est le cas, notamment de la dernière étude mondiale de M. Léontief, pour les Nations unies. Nous sommes, en effet, à l’opposé de la prévision classique.

Et, avec plus d’ingénuité que de malice, l’ingénieur de la SEMA et de Matra conclut sur « l’avenir de la prospective ». »

La recension de Paul Longone

(Population, 33e année, n°4-5, 1978. p. 1041).
L’auteur, praticien réputé́ en prospective, vulgarise avec précision et clarté́ les méthodes d’appréhension de l’avenir. La prévision classique est impuissante ou présomptueuse dans le domaine social où tout bouge à la fois. La prospective grâce à son caractère global, qualitatif, à la prise en compte de la complexité́ des systèmes et à la combinaison d’une approche « littéraire » comme dit l’auteur et mathématique du sujet, réduit le champ des erreurs grossières tout en élargissant celui du possible. La méthode des scénarios, l’analyse structurelle des systèmes sont clairement exposées et complétées par l’étude prospective de deux cas concrets : l’avenir énergétique mondial et celui des transports aériens en région parisienne.

G., enthousiaste de sa spécialité́, conclut que « la prospective met l’imagination au pouvoir » et qu’elle est donc révolutionnaire, contrairement à Marx qui écrivait que « quiconque compose un programme de société́ future est réactionnaire ».

 

Thierry Gaudin interviewé au lendemain du 11 septembre 2001

Thierry Gaudin interviewé au lendemain du 11 septembre 2001

Nous travaillons au compte rendu de la séance du 16 novembre 2016 du Café de la prospective, où nous avons accueilli Thierry Gaudin. Ce travail m’a permis de retrouver une interview  de Thierry dans L’Express – L’Expansion du 20/12/2001 . Je n’ai pas résisté au plaisir de la partager sur notre site.

Propos recueillis par  Christian DAVID et  Bernard POULET,

Pour ce prospectiviste qui voit le monde avec cent ans d’avance, une nouvelle civilisation naîtra du désarroi actuel. Interview en direct du futur.

En compagnie de Thierry Gaudin, on se promène bien loin de l’univers des plans quinquennaux. La spécialité de ce polytechnicien de 61 ans est la prospective à long, très long terme : l’association qu’il préside s’appelle tout simplement Prospective 2100. On peut croire à la fantaisie, il y en a. Mais le site Internet qu’il anime (2100.org) révèle l’immense richesse du travail effectué d’un bout à l’autre de la planète par des chercheurs qui apportent, dans tous les domaines (sciences, justice, santé, environnement), idées et réflexions, constats et initiatives. Inspecteur général des Mines et formidable puits de connaissances, Thierry Gaudin travaille depuis plus de trente ans dans le monde de l’innovation. Entre 1971 et 1981, il pose les bases d’une politique de l’innovation pour le ministère de l’Industrie. On lui doit notamment une réforme de l’Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar) pour la rendre plus opérationnelle, puis la création du Centre de prospective et d’évaluation (CPE) pour assurer le suivi des évolutions et des politiques technologiques.

Thierry Gaudin est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dans son domaine de prédilection, la prospective, mais aussi de réflexions philosophiques sur le progrès, les religions, les mécanismes de la pensée… Il vient de publier L’Avenir de l’esprit chez Albin Michel, un dialogue avec le philosophe François L’Yvonnet.

Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur la prospective à très long terme – sur une centaine d’années – et qu’en attendez-vous ?

Thierry Gaudin. La question s’est posée dans l’autre sens. C’est à partir du moment où j’ai compris que nous avions quelque chose à dire que j’ai proposé à Hubert Curien, alors ministre de la Recherche [1984-1986], de faire une prospective mondiale à cent ans. Nous avons commencé en faisant une enquête auprès de 1 200 experts de toutes les professions sur ce qui était en train de se transformer. Nous avons ainsi vu apparaître les quatre pôles du changement du système technique : les matériaux, l’énergie, la structuration du temps et la relation avec le vivant.

A cette époque, nous avions fondé une nouvelle discipline, l’ethnotechnologie, consacrée aux rapports technique-société, à laquelle a beaucoup collaboré Bertrand Gille, notre grand historien des techniques. Il avait dégagé la notion de  » système technique « , montrant que les différents éléments interagissaient entre eux. Ces systèmes tendent à se stabiliser pour préserver des structures sociales, mais de temps en temps dans l’histoire se produisent des déstabilisations, qui sont des transformations très profondes, des changements de civilisation. Au début des années 80, nous avons montré qu’il y avait en germe les éléments d’un système technique différent de celui qui avait été construit à la suite de la révolution industrielle du XIXe siècle. Il s’agissait de la diffusion des microprocesseurs, de la naissance des biotechnologies, du foisonnement des matériaux polymères et du nouveau système énergétique. Dans la vie de toutes les professions, ces quatre pôles de transformation étaient présents.

La prospective, plutôt qu’une futurologie, est donc une science des transformations ?

Il existe une abondante littérature qui tente d’expliquer pourquoi les choses sont ce qu’elles sont. Il y en a très peu sur la façon dont elles se transforment. Nous nous sommes interrogés sur la rapidité probable du changement à venir ; nous voulions comprendre s’il serait plus rapide que les précédents, la révolution industrielle du XIXe siècle ou la révolution agraire du XIIe.

Notre diagnostic a été que ce qui définit la vitesse de la transformation, ce n’est pas la technique, mais le temps que met l’être humain à se l’approprier. Un délai qui se compte en générations. Cela commence par une période de désarroi, pendant laquelle le nouveau système technique déclasse la force de travail qui desservait l’ancien. Ce qui provoque une lente montée de l’exclusion, de la marginalisation. C’est comme l’accumulation du grisou : quand la proportion devient explosive, il suffit d’une étincelle pour que cela explose.

Y a-t-il déjà eu ce type d’explosion sociale et politique ?

Prenez la révolution de 1848. A l’époque, Guizot avait comme mot d’ordre :  » Enrichissez-vous.  » C’était le Thatcher de l’époque. En 1848, l’Europe s’enflamme. La classe dirigeante est surprise. Elle croyait avoir mis fin aux injustices en supprimant les privilèges. Le peuple, lui, réclame du pain et du travail. Ensuite, les nouveaux dirigeants, Napoléon III en France, Bismarck en Allemagne, la reine Victoria en Angleterre, réagissent en structurant l’espace, en construisant les chemins de fer, les canaux, les grands équipements. Ils structurent aussi les esprits : c’est l’instruction laïque et gratuite, mais surtout obligatoire. Il s’agit d’élever le niveau pour que tout le monde puisse s’intégrer au nouveau système. Car on ne peut pas construire une société durable si l’on n’y intègre pas tout le monde.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, alors qu’il ne suffit plus de savoir lire, écrire et compter pour être bien intégré à notre société, on constate que le taux d’illettrisme a plutôt tendance à augmenter ! A partir des éléments disponibles, deux points critiques apparaissaient comme conséquences de l’exclusion : les cristallisations de type ethnico-religieux et la montée en puissance des systèmes mafieux. Le cartel de Medellin et l’affrontement des Etats-Unis avec Al-Qaida sont deux conséquences d’une même cause, l’incapacité de notre système libéral de donner une place à chacun.

Quelles solutions apporter aux maux que vous aviez diagnostiqués et qui relèvent désormais de notre quotidien ?

Nous défendons l’idée qu’il faut préparer le lancement de grands programmes structurants, à l’image de ce qui avait été fait pour Paris au temps du baron Haussmann. La classe dirigeante, politiques et décideurs, doit définir une stratégie de grands travaux publics structurants en mobilisant l’argent public. Ce sont des programmes que nous devons élaborer dès maintenant, car l’expérience montre que, lorsque les décideurs sont obligés de décider et que les dossiers ne sont pas prêts, ils décident n’importe quoi. Il faut donc préparer les dossiers.

Depuis 1995, par exemple, nous travaillons sur la possibilité d’utiliser durablement les océans et leurs ressources. Ernst Frankel, du MIT (Massachusetts Institute of Technology), a montré qu’il était possible de construire sur les océans pour moins cher que sur terre. D’ailleurs ce type de projet est déjà en cours de développement en Corée, à Taïwan, au Japon et dans certains pays nordiques européens. Au total, nous avons défini douze programmes de réflexion (1).

Comment travaillez-vous et avec qui ?

À Prospective 2100, nous dialoguons avec les professionnels. Pour parler des cités marines, nous avons fait venir 300 personnes du monde entier pour qu’elles échangent leurs projets et étudient les moyens de les réaliser.

Ce n’est pas si difficile de tracer les grandes lignes d’un programme. Prenons un exemple. En 1840, un professeur de l’Ecole des Ponts a dessiné un schéma directeur des voies ferrées pour le monde entier. Pour l’époque, ce schéma était parfaitement réaliste. Si aujourd’hui on demande à une équipe d’ingénieurs de rédiger sous un mois un schéma directeur du TGV pour le monde entier, ils le feront de manière logique. Après, mais après seulement, on pourra commencer à discuter de sa mise en pratique, examiner le contexte politique, économique, historique, le jeu des acteurs, le débat public, etc.

Regardez l’histoire de la conquête spatiale, par exemple. Ce sont d’abord quelques visionnaires, comme Goddard ou, plus près de nous, O’Neill, qui ont étudié des objets audacieux. Ensuite, quand les opportunités de financement sont apparues, les dossiers étaient prêts.

La prospective permet-elle de lire de nouvelles tendances qui se seraient dessinées depuis vos travaux des années 80-90 ?

Dans les années 90, deux événements ont été particulièrement importants pour les prospectivistes. D’abord l’évolution de la démographie, car la baisse de la fécondité a été plus rapide que prévu. Les scénarios de la fin des années 80 envisageaient une stabilisation de la population mondiale aux alentours d’une dizaine de milliards d’individus. Aujourd’hui, on estime qu’on passera plutôt par un maximum de 8,5 (6 milliards autour de l’an 2000) pour redescendre lentement et retrouver les 6 milliards peu après 2100. Bien sûr, à cette échéance, il faut garder une fourchette de prévision assez large. Mais il semble que l’on soit entré dans une phase où l’espèce humaine, instinctivement, commence à s’autoréguler. Il y a une mise en harmonie avec la nature et l’on va bientôt se demander quel est le niveau raisonnable de l’effectif de l’espèce humaine.

Le deuxième point important est la montée des peurs alimentaires (vache folle, OGM…). La confiance du consommateur dans son industrie alimentaire a été fortement entamée. Dans les années 90, quand on parlait de traçabilité, cela n’intéressait pas beaucoup. Aujourd’hui, ces préoccupations ont des conséquences sur les marchés et sur l’organisation même de la production agricole. Depuis cinquante ans, les agronomes défendaient la productivité, poussant les agriculteurs à s’endetter, à acquérir des machines de plus en plus puissantes, à consommer massivement des engrais et des pesticides. Et puis ils ont commencé à s’interroger sur d’autres formes de rapports avec la nature, pour arriver à accepter ce que nous appelons le  » jardin planétaire « . Il y a, dans l’expression  » jardin planétaire « , que le paysagiste Gilles Clément a popularisée, deux idées : la première, c’est qu’un jardinier est un amoureux de la nature bien plus qu’un  » exploitant « , comme on dit dans les milieux agricoles. La seconde est que, où que nous portions notre regard, nous sommes déjà dans une nature modelée par l’homme. Celui-ci a, de fait, une responsabilité de jardinier. Il ne peut s’y soustraire. Il est obligé d’intervenir sur son jardin. S’il ne le fait pas, le jardin se dégrade. C’est une faute professionnelle. Le non-agir, qui semble tenter certains écologistes, n’est déjà plus possible.

Les mondialisations précédentes se sont terminées souvent dans la violence. Le 11 septembre marque-t-il un tournant de celle que nous avons vécue ?

Le 11 septembre fait partie des crises de jeunesse de cette nouvelle période. Evénement tragiquement regrettable, mais pas vraiment surprenant. D’ailleurs, nous avions déjà porté le diagnostic d’accroissement de l’insécurité en 1990 et ça ne s’est pas terminé le 11 septembre, ça ne sera même pas terminé lorsque les États-Unis et leurs alliés auront manifesté leur force. Les causes profondes n’ayant pas disparu, les effets se manifesteront autrement.

Malgré tout, vos propos reflètent globalement un fort optimisme pour l’avenir, bien que votre diagnostic sur les événements courants soit assez sombre.

Peut-être parce qu’il va bien falloir que cette classe dirigeante actuelle, qui s’est laissée fasciner par des bulles successives, financière, immobilière, technologique, finisse par regarder les choses en face. A l’échelle mondiale, à cause de la transformation du système technique, la situation devient comparable à celle qui a précédé 1848 en Europe. La classe dirigeante ne pourra plus faire autrement que de changer de stratégie.

Apprendre autrement : l’école 42

Apprendre autrement : l’école 42

Former autrement à des métiers émergents

Parmi les établissements qui se sont attaqués au défi d’une «formation à des métiers qui n’existent pas», le plus original est sans doute « 42 », l’école créée par Xavier Niel et Nicolas Sadirac avec l’ambition de former (gratuitement) mille développeurs informatiques par an, soit 20% des besoins de la France.

C’est une école ouverte, accueillant après une sélection sévère tous ceux qui prouvent qu’ils sont très motivés par l’informatique, passionnés par la programmation et prêts à beaucoup travailler.

Le candidat arrive aux épreuves de sélection avec sa motivation et sa volonté de réussir, et il doit faire la preuve de ses capacités de calcul, de déduction, de raisonnement logique, mais personne ne lui demande s’il a un quelconque diplôme : il n’y a aucun « prérequis », et d’ailleurs quel pourrait-il être ? Les créateurs de l’école sont convaincus que «  les qualités pour réussir dans le monde du numérique n’ont aucun rapport avec celles validées par le système scolaire traditionnel »[1].

Il n’y a pas de cours magistraux au « 42 ». On ne cherche pas à accumuler des connaissances, puisque tout est disponible sur le web. Il faut en revanche acquérir la capacité de trouver rapidement la bonne information quand on en a besoin.

La formation se fait entièrement en réalisant des projets de taille et de difficulté variables qui obligent à faire preuve d’initiative, d’ingéniosité et de créativité pour atteindre ses objectifs. Selon le principe de la « classe inversée », l’élève étudie les supports, qui sont en ligne, avant de s’attaquer à l’un des projets qui lui ont été attribués. L’école est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, et dans ses trois étages d’open space 750 ordinateurs sont alignés. On peut y travailler seul, mais la plupart du temps les élèves se retrouvent en petits groupes. La pédagogie est basée sur la collaboration, le peer-to-peer : chacun apprend en échangeant avec les autres, en profitant de la diversité des expériences et des connaissances. Et in fine l’évaluation du travail est faite par les pairs ; l’encadrement (quinze enseignants pour 1 700 élèves) fournit seulement des grilles pour faciliter la notation.

Le but : former des professionnels autonomes et « agiles »

Le but est qu’au bout de trois ans tous les étudiants soient devenus d’excellents développeurs, parfaitement à l’aise avec le codage, mais surtout des professionnels capables de se sortir de toutes les situations, même les plus délicates. L’accent est mis sur l’autonomie, le « do-it-yourself » (système D, en français), la faculté d’adaptation, la rapidité, l’agilité, le fonctionnement en équipe et en réseau. Trois années de ce régime permettent de faire le pari que le jour ou l’ancien de « 42 » devra pratiquer un métier qui n’existait pas à l’époque de son apprentissage, il saura construire les process et imaginer les outils nécessaires, en s’appuyant sur ses pairs, dans les communautés de pratiques dont il fait partie. Ce n’est encore qu’un pari, puisque l’école n’a que deux ans de fonctionnement. On verra les résultats dans quelques années…

[1] Nicolas Sadirac, co-fondateur de « 42 ».

De l’Hérault au Cher, en 15 ans, des évolutions très contrastées de l’emploi

De l’Hérault au Cher, en 15 ans, des évolutions très contrastées de l’emploi

Sur la longue durée (15 ans, de 1989 à 2014) l’emploi a évolué de façon très différente en France.
Entre la meilleure progression : 1,5 % en moyenne annuelle, dans l’Hérault, et la diminution la plus forte :  2,2 % par an, dans le Cher, les écarts sont considérables.

Emploi salarié et non-salarié au 31 décembre 2014 et évolution annuelle
1989 – 2014
Emploi au 31 décembre 2014 (milliers) Evolution annuelle (%)
emploi total emploi total
Hérault 423,9 1,5
Lot 65,0 1,3
Corse-du-Sud 62,8 1,2
Ille-et-Vilaine 464,7 1,2
Haute-Corse 60,5 1,0
Bouches-du-Rhône 865,4 0,9
Var 378,8 0,9
Seine-Saint-Denis 606,5 0,9
Aude 125,3 0,8
Loire-Atlantique 599,7 0,8
Paris 1 927,0 0,8
Tarn-et-Garonne 88,0 0,8
Haute-Garonne 628,5 0,7
Gironde 674,0 0,7
Landes 145,4 0,7
Ain 217,2 0,6
Aveyron 110,0 0,6
Manche 190,6 0,6
Isère 511,1 0,5
Haute-Loire 80,4 0,5
Rhône 922,0 0,5
Savoie 204,0 0,4
Seine-et-Marne 486,6 0,4
Ardèche 106,2 0,3
Drôme 211,5 0,3
Marne 243,3 0,3
Puy-de-Dôme 274,2 0,3
Haute-Savoie 307,5 0,3
Val-de-Marne 571,0 0,3
Alpes-de-Haute-Provence 58,1 0,2
Gard 245,1 0,2
Pyrénées-Atlantiques 273,2 0,2
Essonne 476,5 0,2
Ariège 53,2 0,1
Côtes-d’Armor 219,2 0,1
Morbihan 277,3 0,1
Nord 1 029,5 0,1
Pas-de-Calais 488,8 0,1
Tarn 133,7 0,1
Vendée 258,9 0,1
Pyrénées-Orientales 157,0 0,0
Hauts-de-Seine 1 072,6 0,0
Seine-Maritime 509,9 0,0
Aube 115,5 -0,1
Cantal 57,7 -0,1
Dordogne 145,3 -0,1
Eure 195,5 -0,1
Finistère 356,6 -0,1
Maine-et-Loire 324,0 -0,1
Nièvre 76,6 -0,1
Val-d’Oise 415,9 -0,1
Charente-Maritime 229,7 -0,2
Bas-Rhin 485,5 -0,2
Hautes-Alpes 60,0 -0,3
Indre-et-Loire 246,1 -0,3
Lot-et-Garonne 124,3 -0,3
Lozère 31,2 -0,3
Haut-Rhin 284,4 -0,3
Alpes-Maritimes 451,5 -0,4
Calvados 279,7 -0,4
Corrèze 95,9 -0,4
Loiret 277,6 -0,4
Aisne 171,9 -0,5
Jura 95,6 -0,5
Loir-et-Cher 127,2 -0,5
Oise 275,3 -0,5
Hautes-Pyrénées 88,1 -0,5
Saône-et-Loire 210,3 -0,5
Deux-Sèvres 154,0 -0,5
Yonne 123,4 -0,5
Creuse 41,3 -0,6
Loire 285,5 -0,6
Mayenne 125,2 -0,6
Meurthe-et-Moselle 265,2 -0,6
Moselle 363,8 -0,6
Sarthe 218,8 -0,6
Vaucluse 223,1 -0,6
Ardennes 94,1 -0,7
Charente 137,9 -0,7
Côte-d’Or 234,5 -0,7
Yvelines 585,8 -0,7
Somme 215,3 -0,7
Indre 85,2 -0,8
Meuse 63,6 -0,8
Eure-et-Loir 147,8 -0,9
Gers 69,2 -0,9
Allier 123,4 -1,0
Doubs 212,5 -1,0
Haute-Marne 71,4 -1,0
Haute-Vienne 142,1 -1,0
Haute-Saône 76,3 -1,1
Orne 106,8 -1,2
Vosges 134,5 -1,2
Territoire de Belfort 52,9 -1,4
Vienne 174,6 -1,6
Cher 111,0 -2,2
France de province 20 523,1 0,1
France métropolitaine 26 665,1 0,1
Guadeloupe 127,7 2,7
Martinique 129,1 -0,1
Guyane 53,3 -0,2
La Réunion 267,3 0,8
France hors Mayotte 27 242,4 0,1

Modes & Tendances

Modes & Tendances

Paul Valéry définissait la mode comme « l’imitation de celui qui veut se distinguer par celui qui ne veut pas être distingué ». Pour les créateurs, répondre à ce besoin simultané de différence et d’appartenance est un défi. Il leur faut présenter une collection originale, portant leur touche particulière, et dans le même temps offrir des couleurs, des tissus et un style qui plairont à la consommatrice parce qu’elle les remarquera sur ses amies ou dans la rue.

Jusqu’au milieu du vingtième siècle, pour ne pas courir trop de risques, les industriels de l’habillement proposaient au public une gamme réduite de couleurs et de tissus, et les coupes ne se distinguaient qu’à la marge. Un ingénieur, Fred Carlin, aurait voulu qu’ils élargissent leur gamme de couleurs, pour pousser les clientes à l’achat d’impulsion. Mais aucun ne voulait prendre le risque de fabriquer des tissus dans des couleurs originales, deux ans avant la saison (temps nécessaire à la réalisation des vêtements et à leur marketing).

En 1947, Carlin marque un point décisif : il crée le « Comité Français de la Couleur », pour fournir aux producteurs des indications sur les couleurs qui séduiront les consommatrices. Il n’y a rien de scientifique dans sa démarche : il synthétise les intuitions de ses collaborateurs, et décide « au flair » quelles couleurs traduiront le mieux les mouvements de la société deux ans plus tard. Au début des années 1960, il fonde une société de conseil et engage des stylistes pour réaliser des « cahiers de tendances couleurs, matières et formes », basés sur l’observation des styles de vie des jeunes, des leaders d’opinion et des vedettes du show-business. Les « chasseurs de tendances » qui nourrissent ces cahiers opèrent aussi bien à Paris, New York, Londres ou Milan, villes réputées pour leurs milieux « branchés », qu’à Dakar ou Sao Paulo. Les agences de tendances entretiennent aussi des réseaux de « capteurs » : sociologues, architectes, artistes, philosophes, chercheurs. Les « tendanceurs » doivent tout lire, tout voir, tout sentir, tout ressentir, et associer la veille, l’analyse, l’anticipation et le flair.

De nombreuses agences ont vu le jour ces dernières décennies. Les plus connues sont celles de Dominique Peclers, Nelly Rodi ou Li Edelkoort. Carlin international reste une référence. Pour la saison d’automne/hiver 2017-2018, elle publie neuf cahiers de tendances thématiques (femmes, hommes, enfants, lingerie, sport, plage, etc.) et trois cahiers « transverses » : l’incontournable cahier « couleur », un cahier « tentation », qui présente des idées originales de matières, de graphismes, de finitions, de décor, pour inspirer les stylistes, et un cahier « impulsion », pour faire réagir les créatifs sur les créations artistiques et les tendances esthétiques du moment.

En savoir plus
Comprendre les tendances : Ceux qui les font et les défont, de Dominique Cuvillier, éd. du Chêne, 2008.

Site de Peclers http://www.peclersparis.com/fr/conseil/expertise/trend-consulting
Site de Carlin
http://carlin-groupe.fr

Adapté d’un article de Marc Mousli paru dans Alternatives économiques de septembre 2014 sous le titre :  Stimuler et canaliser la créativité : les cahiers de tendances
http://www.alternatives-economiques.fr/les-cahiers-de-tendances-stimulent-_fr_art_1311_69104.html

L‘image (superbe, n’est-elle pas ?) illustrant cet article est empruntée au site de Nelly Rodi : http://nellyrodi.com 

Et si les Trente glorieuses n’avaient pas eu lieu, histoire contrefactuelle…

Et si les Trente glorieuses n’avaient pas eu lieu, histoire contrefactuelle…

Il est courant, dans une réflexion sur l’histoire, qu’un chercheur se demande « que se serait-il passé si tel événement n’avait pas eu lieu ? ». Pendant longtemps, les Français se sont livrés à cet exercice intellectuel spontanément, sans chercher à l’approfondir ni à en étudier l’intérêt pour la recherche, contrairement aux Anglo-saxons, qui se passionnent depuis longtemps pour la « méthode contrefactuelle »[1]. Deux historiens ont décidé de s’y intéresser, et viennent de publier Pour une histoire des possibles, Analyses contrefactuelles et futurs non advenus[2].
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Quand les prix n’ont plus de sens

Quand les prix n’ont plus de sens

Jean-Marc Vittori a récemment publié un excellent article sur les prix, qui mériterait d’être approfondi. Les quelques remarques du rédacteur en chef des Echos sur ce que peut signifier aujourd’hui un prix n’ont rien d’anodin : comment peut-on étudier l’économie si les biens et services ont une valeur totalement aléatoire ? Continuer la lecture du compte rendu

Les 30 heures de Jean Fourastié

Les 30 heures de Jean Fourastié

30 heures par semaine

Produire plus et mieux en travaillant moins est la définition courante du progrès économique. Il y a un demi-siècle, Jean Fourastié nous expliquait comment le transformer en progrès social.

L’irrésistible progression de la productivité

La productivité et l’innovation sont les deux moyens de survie et de développement de toute entreprise soumise à la concurrence. Pour celles qui réussissent à produire plus et mieux en utilisant moins de ressources, la question suivante est : comment répartir intelligemment le surplus de productivité ? Il y a au moins cinq réponses:  on peut investir pour continuer à progresser, distribuer les profits aux actionnaires, augmenter les salaires, diminuer la durée du travail ou baisser les prix.

Parmi ces diverses utilisations possibles des gains de productivité, la diminution de la durée du temps de travail n’a guère la cote de nos jours : depuis quinze ans de nombreux acteurs du monde économique et encore plus de la sphère politique s’acharnent contre les 35 heures avec une constance et une énergie qu’ils ne déploient pour aucune autre cause. Les défenseurs de la RTT, eux, se font discrets, l’application des lois Aubry ayant été tout sauf exemplaire.

Travailler 30 heures par semaine, avec 12 semaines de congé par an

Dans Les 40 000 heures, un livre publié en 1965 (*), Jean Fourastié, démontre  qu’au milieu du 21e siècle il sera possible de ne travailler que 30 heures par semaine, 40 semaines par an et 35 années par vie. D’où le titre :  le total fait 40 000 heures, mais l’auteur a fait un clin d’œil aux mythiques 40 heures.

Jean Fourastié, considéré comme l’un des grands économistes français du vingtième siècle,  grand pédagogue, professeur au CNAM et à Sciences Po, n’avait rien d’un gauchiste échevelé. Centralien et docteur en droit, il fut président de l’Académie des sciences morales et politiques et même éditorialiste au Figaro…

Il avait pour règle intangible de « ne pas raisonner sur des idées, mais sur des faits » et de « rejeter l’abstraction autant qu’il est possible ». Son livre le plus célèbre, « Les trente Glorieuses » illustre bien sa méthode. Il compare minutieusement, dans le détail, la vie quotidienne dans son village du Lot en 1946 et en 1975. Des travaux sur la productivité, menés avec le même soin, lui ont inspiré son livre sur les 40 000 heures.

« Cultiver les aptitudes à la beauté, à l’amour et au rêve »

Que faire de ces gains de productivité ? Jean Fourastié les répartit équitablement entre l’investisseur, le client et le salarié. A ses yeux, le temps rendu aux salariés devait être réinvesti dans la culture. Il se disait persuadé que « le monde des 40 000 heures aurait, plus encore que le nôtre, besoin de beauté, d’amour et de rêve ; les aptitudes correspondantes doivent donc être cultivées ».

Le milieu du 21e siècle approche. Il faut donc cultiver sans attendre les « aptitudes à la beauté, à l’amour et au rêve », et se battre pour réaliser progressivement la prévision de Jean Fourastié. Nous sommes passés de 100 000 heures à 65 000 heures entre 1965 et 2000, un gain de 35 000 heures en 35 ans ! Les 40 000 heures en 2050 restent un scénario vraisemblable :  un gain de 25 000 heures entre 2 000 et 2 050, ce devrait être possible !

(*) Les 40 000 heures, par Jean Fourastié éd. Gonthier-Laffont, 1965, réédité par les éditions de l’Aube en 2007.